la capilliculture
"Bonjour.
-Bonjour.
-C'est pour quoi?
-Me faire couper les cheveux s'il vous plait."
Je n'ai jamais compris pourquoi ils me demandent à chaque fois le motif de ma venue. C'est un coiffeur, bon sang. Elle le voit bien que mes cheveux sont épais.
"Je voudrais une quatre fromage s'il vous plait."
Après avoir rangé mon manteau dans un placard tapissé de cheveux morts, elle m'emmène aux bacs où ils lavent les têtes. Je la suis et j'en profite pour regarder ses fesses bailler dans son pantalon trop grand.
Deux femmes d'une quarantaine d'années sont déjà là, les cheveux secs. Elles attendent visiblement que leur coiffeuse attitrée termine ce qu'elle fait, et semblent assez tendues. Elles ne répondent pas à mon salut quand j'arrive, et me lancent des regards mauvais quand la nana sans fesses me fait un shampooing.
Tous les hommes disent qu'ils adorent se faire laver les cheveux par leur coiffeuse. Que ça leur fait du bien, de se faire masser le cuir chevelu par une inconnue, ça détend, et parfois, si la shampooineuse est mignonne, ça donne la demi-molle.
Pas moi.
Elle me tire la tête en arrière, passe ses mains sans délicatesse à travers ma tignasse, m'éclabousse le visage et me remplit de mousse mes oreilles.
Maintenant que j'y pense, c'est peut être parce que ce coiffeur est le deuxième moins cher de ma ville. Le premier, il est vraiment pas cher, mais l'épaisseur de cheveux qui traine par terre est impressionnante, et je crois que le propriétaire tiens aussi le grec à côté en même temps.
Quand on met le prix, on doit avoir droit à un super massage de la tête, j'imagine.
Elle termine assez rapidement, et m'emmène à une vieille grosse, qui, comme toutes les coiffeuses, a un agencement capillaire assez moche. Je suis à peine assis qu'elle plaque ma tête contre ses seins gros et flasques, ce qui me gène un peu, alors je tend le cou pour ne pas être en contact avec sa blouse.
"Je vous les coupe comment?"
Je n'ose pas lui dire que je veux la même coupe de cheveux que Brad Pitt dans Fight Club. A chaque fois je me dégonfle au dernier moment.
"Court sur les côtés, plus long sur le dessus, et tiens, laissez-moi un peu de pattes s'il vous plait."
A ma surprise, elle est très douce. Elle me demande si ça va de temps à autres. Je répond oui sans même me regarder dans le miroir.
Cependant, de temps à autres, je ne peux m'empêcher de croiser mon regard. J'ai une tête à chier. Les yeux enfoncés dans leurs orbites, cernés de noir, celui qui louche un peu plus haut que l'autre - je n'ai pas le visage symétrique.
La radio passe le dernier tube de Justin Timberlake, et je me surprend à chantonner le refrain.
Je remarque que le patron me regarde, et ce qu je prend au premier abord pour un clin d'oeil est en fait un tic facial, ce qui me soulage.
***
"Déjà rentré?
-Ouais, c'était rapide. Je vais me passer la tête sous l'eau, elle m'a vidé un pot entier de gel sur le crane, ça me fait une calotte, je sens rien du tout."
En plus elle avait tout plaqué en arrière, c'était ridicule, on aurait dit un mafieux de téléfilm français, ou un Allemand dans une reconstitution cheap de la période de l'Occupation.
Quand je me mouille la tête sous le robinet et que je la relève, ma première réaction est de ricaner bêtement. Jusqu'à ce que je réalise que c'est ma tête et que je vais devoir supporter le regard des autres : une longue mèche descend jusqu'au milieu de mon nez, alors que tout le reste est coupé assez court. Ca fait profondément stupide. On dirait un guignol qui tente de mettre le look rockabilly au goût du jour mais qui ne sait pas très bien s'y prendre.
J'arrive pas à croire qu'à chaque fois je paie pour un resultat que je pourrais obtenir par moi-même.